Un peu par ci. Et un petit peu par là... Il en fallait plus. Tout était une histoire de quantité. UNE SIMPLE HISTOIRE DE QUAN-TI-TÉ . Dans une pirouette plus ou moins contrôlée qui fit voler le sable autour de lui, Phineas tourna sur lui-même, chercha frénétiquement son seau du regard avant de s'en saisir et de s'avancer vers la mer. Le soleil lui tapait un peu sur la tête, et il lui semblait qu'il ne savait plus bien ce qu'il faisait. Sans pour autant pouvoir s'arrêter de bouger une minute. Du mouvement, il fallait toujours du mouvement, la vie n'attendait pas, il était Phineas Bloomfield, I^er du nom et rien ni personne ne pourraient l'arrêter, ça non ! Il devait avoir prononcé cette phrase à voix haute et avec un peu trop d'entrain, car les enfants qui jouaient non loin de là le regardèrent avec une expression étrange. Phineas leur adressa un sourire mi-béat mi-confus - avec lui on ne savait jamais - et se remit à la tâche. Les pieds dans le sable et son seau se balançant au bout du bras, il tournoya, chanta et sculpta... Jusqu'à s'écrouler dans le sable, la chaleur et la fatigue ayant définitivement eu raison de lui.

Quand les paupières de Phineas s'entrouvrirent de nouveau, le soleil était en train de terminer sa course folle, projetant ses derniers rayons sur la ligne d'horizon. Soudain conscient qu'il avait à moitié le nez dans le sable et les membres endoloris, Phineas se releva en un sursaut brusque. Il avait DORMI ? Alors que la journée était si belle, et que le sommeil était une pure perte de temps comparé à la tâche qu'il devait accomplir ? Au moins sa glacière, son seau, ses instruments et son vieux carnet aux pages froissées étaient-ils toujours à moitié enterrés dans le sol, à quelque pas de sa magnifique sculpture en train de prendre forme. Et il se devait de l'achever, car ç'allait être grandiose ! S'attelant de nouveau à son travail, l'air se fit plus frais et bientôt, la nuit fut arrivée. La plage était désormais déserte, et aucun éclairage ne venait gâcher la nature sauvage du lieu. Seules les lumières lointaines de la ville et la clarté de cette nuit d'été lui permettaient d'y voir encore clair. Presque comme en plein jour, en fait. Presque, hein. Ce qui était plutôt accommodant, car Phin ne comptait pas rentrer chez lui de sitôt. Encore quelques allers-retours entre l'eau et le sable plus tard, il fit quelques pas en arrière pour avoir une vue d'ensemble. Sifflotant déjà de joie, c'est avec un petit hurlement à peine étouffé qu'il admira ce qu'il avait devant les yeux. Comme dans ses rêves les plus fous, une exacte quantité d'eau et de sable accordée à ses gestes appliqués avaient abouti à ce qu'il n'avait osé imaginer prendre forme un jour... Une sublime gaufre de la taille d'un matelas et son sirop d'érable coulant sculptés dans le sable se dressaient devant lui. Mission accomplie.

Se dirigeant en sautillant vers son précieux carnet, Phineas se rendit directement à la page qui avait un coin corné. C'était bien là, d'une écriture un peu penchée : Sculpter la plus magnifique des sculptures de sable qui soit. S'emparant d'un crayon qu'il gardait dans la poche arrière de son vieux bermuda en toile, Phineas s'appliqua plusieurs secondes pour tirer un trait sur cette tâche-là. Voilà. Il avait cru perdre un peu la tête, mais il y était finalement arrivé. Sa liste de choses à faire diminuait. Au moins un peu. Il reposa ses affaires dans le sable et ouvrit sa glacière à la recherche d'un biscuit, en engloutit deux ou trois... ou quatre ou cinq - et ne put s'empêcher de faire ce qu'il faisait toujours lorsqu'il était heureux : chanter le premier air qui lui passa par l'esprit. « Here I go out to sea agaiiin la la la la laaaa And dreams hang in the aaaair ! Avec une petite préférence pour les vieux tubes des années 80. It's a woooonderful woooonderful liiife, ouh-ouh-ouh, ah-AH ! Dans un petit mouvement d'épaules et de hanches, Phineas se trémoussa sur place en balançant la tête de gauche à droite. Et quel mal y avait-il à cela ? Seule la mer lui faisait face et à ce qu'il sache, elle ne pouvait se plaindre de lui. Alors il n'allait certainement pas s'arrêter sur sa lancée. I need a friend - Oooh I need a fr... Se figeant tout à coup sur place, Phineas fronça ses petits sourcils. Mais non, il n'avait besoin de personne ! Pas ce soir, en tout cas. Ce n'était pas comme s'il avait le choix, de toute façon...

Arrachant son regard de la mer qui scintillait au clair de lune, il pivota sur lui-même pour retourner vers son œuvre d'art et ses réserves de nourriture. Mais Phineas crut soudain se sentir défaillir. Et ne put retenir un cri qui résonna sur la plage, plus si déserte que ça.
— AAAAAAAAH ! »
Il remua les mains comme s'il s'apprêtait à s'envoler et sautilla sur place pour tenter de contenir les battements accélérés de son pauvre petit cœur, puis se calma un peu en se disant qu'étant donné la taille de son invitée surprise, il n'avait pas grand-chose à craindre. Enfin, du moins pas physiquement. Et puis, ce n'était pas comme si c'était une inconnue qui avait débarqué... Avait-elle répondu à l'appel de sa chanson ? Phineas replia avec soin le col de sa chemise hawaïenne pour tenter de retrouver un peu de contenance, et prit une profonde inspiration pour réoxygéner son cerveau. C'est que son cœur n'allait décidément pas survivre à Rose Oswin, si chacune de leurs rencontres continuait sur cette lancée.