« Du bourgeon à la fleur. »
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Ça a commencé en plein mois d'août 1995, alors que dehors les cerisiers étaient déjà en fleurs il y eut la naissance d'une vie : la sienne.
Petit créature ridiculement minuscule mais ô si importante à leurs yeux : ses parents, jeunes et heureux qui venaient de donner naissance à leur première et dernière fille : Miyuki.
C'est un joli nom ça Miyuki.
Elle l'aime bien.
Ça signifie silence de la neige; elle s'est toujours demandé pourquoi ils l'avaient appelé comme ça mais elle n'avait jamais posé la question.
Ça lui plaisait de garder le mystère.
Oui c'était chouette de s'appeler silence de la neige, du moins pour elle.
Les premières semaines à l'hôpital ont été dures, enfin d'après ce qu'on lui a raconté.
Elle avait des problèmes de respiration et pour s'alimenter.
Ses parents ont eu très peur, peur de perdre leur seul enfant, peur de perdre la vie qu'ils avaient crée.
Mais il faut croire que la vie c'est un sacré farceuse car Miyuki a surmonté tout ça et très vite elle revenait à la maison.
À la maison. La vrai maison ça a été la première, leur première maison.
Elle était petite, pas très belle mais il y avait tout ce qu'il fallait.
Il y avait le parquet qui grinçait quand elle marchait à quatre pattes, il y avait l'odeur des crêpes françaises que papa faisait, il y avait le rire de maman, il y avait le bonheur.
C'était la plus belle période de sa vie.
Puis y'a eu le divorce.
Ça s'est fait quand elle avait 8 ans, tout allait bien et puis d'un coup tout allait mal.
Papa criait, maman pleurait.
Miyuki subissait.
En silence.
Toujours.
Maman est parti un soir, elle a fait ses valises et elle a serré Miyuki fort dans ses bras, très fort en lui murmurant qu'elle reviendrait vite pour s'occuper d'elle et qu'elle l'aimait de tout son coeur.
Mensonges.
Foutaises.
Maman n'est jamais revenu. Elle les a a abandonné, papa et elle. Elle est parti un soir comme ça puis plus de nouvelles. Pendant des jours. Des semaines. Des mois.
Miyuki ne comprenait pas. Son père lui expliquait que maman se reposait alors Miyuki hochait de la tête devant lui mais le soir elle pleurait dans le creux de son oreiller en priant pour que sa mère revienne.
Petit à petit la peine s'est transformé en colère.
Miyuki lui en voulait énormément.
Elle lui en veut toujours.
Miyuki a donc passé la période du collège sans sa mère. La période du collège ça a été le plus dur.
Enfant largué dans un monde d'adolescents cruels. Enfant qui comprend qu'elle n'a plus le droit de s'habiller de toutes les couleurs et d'amener ses jouets à l'école. Enfant qui comprend qu'elle doit changer pour plaire pour ne pas être exclu. Enfant qui ne veut pas se soumettre à la course aux amis, à la dictature de la mode et à se fondre dans la masse mais qui le fait quand même. Enfant qui grandit entourée de personnes qu'elle n'aime pas vraiment mais qu'elle essaye de considérer comme des amis. Enfant qui n'aime pas l'école. Enfant qui grandit.
Enfant qui grandit.
Adolescente triste.
Son père avait un travail qui leur permettait de joindre les deux bouts. Il ne parlait jamais de sa mère et de la vraie raison pour laquelle elle était partie. Ils évitaient toujours le sujet, il ne fallait jamais en parler.
Mais Miyuki voulait savoir, elle voulait connaître la raison pour laquelle sa mère les avait quitté. Il y avait bien quelque chose derrière ce départ aussi soudain.
Puis un jour il y a eu l'appel.
Après des années sans donner de nouvelles et pour on ne sait quelle raison sa mère a appelé. Le jour de ses 15 ans la sonnerie retentissait et son père allait décrocher tandis qu'à l'époque Miyuki soufflait ses bougies avec ses quelques amis. Elle avait immédiatement vu son père qui blêmissait au son d'un simple "allo?", ça ne pouvait être qu'elle, c'était elle.
Alors du coin de l'oeil Miyuki a observé son père écouter en hochant doucement de la tête, les lèvres pincés et les sourcils froncés. Finalement il a tendu le téléphone à Miyuki comme à contrecoeur en lui soufflant à l'oreille :
« C'est ta mère, elle … veut vraiment te parler. »À ce moment là Miyuki se souvient parfaitement de la sensation qu'elle avait ressenti. Un vide immense comme si elle n'existait plus, son coeur comme un glaçon et sa gorge qui se serre tandis qu'elle prend doucement le combiné, délicatement, très délicatement de peur qu'il ne se brise et que la présence de sa mère à l'autre bout du combiné disparaisse.
Puis elle décroche dans un souffle tandis que sa mère en larmes chuchote dans le téléphone.
Des excuses, des remords des regrets. Voilà à peu près tout ce qu'avait comporté cette conversation et à l'époque c'était comme une bombe atomique dans la vie de Miyuki. Elles ont parlé une bonne dizaine de minutes. Sa mère ne lui a rien expliqué. Elle voulait tout lui dire en face, c'était courageux de sa part d'une certaine façon.
Puis Miyuki avait raccroché en retenant sa respiration.
Elle avait attendu que tous ses amis partent pour fondre en larmes.
Pendant des jours elle avait erré sans but comme si cet appel avait aspiré toute son énergie vitale. Sa mère était réapparue et étrangement toute la haine que Miyuki avait accumulé pendant toute ces années à son égard s'était envolé dès qu'elle avait entendu sa voix pour se transformer en un espoir dévastateur.
Miyuki ne vivait plus que pour cette rencontre qui allait avoir lieu le week-end suivant.
Elle rêvait de sa mère toutes les nuits depuis si longtemps.
Elle n'en pouvait plus de cet attente.
Elle voulait la voir.
Finalement le fameux rendez vous vint à arriver, Miyuki avait passé 1 heure à se préparer changeant de tenue et de coiffure. Elle voulait être parfaite pour voir sa mère, son père comptait l'y amener mais il ne parlerait certainement pas avec sa mère. Miyuki commençait à croire qu'ils avaient déjà eu une discussion ensemble car son père ne semblait pas avoir envie de lui poser des questions ou demander des explications. Ou peut être c'était il simplement résigné.
Elle lui avait donné rendez vous dans un Starbucks du coin pour faire plaisir à sa fille qui adorait le fameux café. Son père s'était garé puis la couvant du regard l'avait encouragé à entrer.
Elle se souvenait de son coeur qui battait fort et de cette sensation de flottement, comme si elle était dans un rêve. Elle avait poussé la porte, regardé puis trouvé sa mère assise à une table.
Sauf qu'elle n'était pas seule.
À ses côtés un homme aux cheveux de jais, une barbe courte grisonnante et des yeux verts pétillants. Miyuki n'avait pas de suite compris qui il était. Elle s'était avancée doucement tandis que sa mère se levait pour l'accueillir. Un sourire gêné aux lèvres Miyuki s'était installé avec eux puis la discussion avait commencé.
« Miyuki ma chérie ! Je suis si contente de te voir ! Comme tu as grandi … oh et je te présente Andrew moi fiancé ! »
« Enchanté Miyuki, ta mère m'a beaucoup parlé de toi. »Le coeur qui se fissure. Un nouveau fiancé ? Maman ne lui avait jamais parlé de ça ? Et papa est ce qu'il le savait. Toutes ces questions auxquelles Miyuki n'avait pu répondre.
« Enchanté. »
« Bien ! Les présentations sont faites ! »La discussion avait été vide, creuse. Des questions sur ses centres d'intérêts, l'école … Andrew n'était pas méchant mais Miyuki ne l'aimait pas, elle n'arrivait pas enregistrer le fait que sa mère ait un autre homme que son père dans sa vie.
C'était à ce moment qu'elle s'était rendu compte que depuis l'appel de sa mère elle nourrissait l'espoir secret que sa mère et son père redeviennent le couple de parents qu'ils étaient auparavant.
Elle se sentit soudain stupide et naïve.
Quand enfin Andrew quitta la table pour aller aux toilettes Miyuki se lança, décidée à mettre les choses au clair :
« Maman … Depuis quand tu es avec Andrew ? Papa est au courant ?! »
« Ha et bien … Non. Ton père n'est pas au courant non. »
« Je veux que tu lui dises. Il a le droit de savoir. »
« Miyuki … C'est ma vie maintenant. Ton père n'a pas à être au courant de tout ce que je fais et je vis ! »
« Pourquoi t'es venu avec lui … On était pas censées être toutes les deux ? »
« Oui mais je me suis dit qu'il fallait que tu apprennes à connaître ton futur beau père avant le mariage et ... »
« LE MARIAGE ?! »
« Oui. Ma chérie Andrew et moi nous nous côtoyons depuis longtemps alors … c'est la suite logique des choses ! Je voulais te l'apprendre en personne ! »
« Q..quoi ?! Mais … mais et papa il le sait au moins ? »
« Chérie ton père ne fait plus partie de ma vie ! Je te l'ai déjà dit et j'en suis désolé mais lui et moi nous … »
« Sauf qu'il fait partie de la mienne maman ! Et toi tu n'en fais pas plus partie depuis des années ! Plus depuis que tu nous as abandonné papa et moi ! Tu t'en rappelles ?!! Alors je t'interdis de me dire ce que je dois accepter ou non !! »La voix de Miyuki s'était brisé sur la fin de cette phrase, elle avait retenu ses larmes tandis que sa mère la regardait quitter le Starbucks impuissante et perdue. Elle avait craqué sur le parking, laissant couler des larmes de rage en serrant les poings. Elle avait tant espéré de cette rencontre. Tant espéré de sa mère.
« Je te déteste. Je. te. hais. » avait murmuré Miyuki, tremblante de colère.
« De la fleur à la femme. »
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Quelques mois plus tard Miyuki a appris par son père que s'ils avaient divorcé c'était parce que sa mère le trompait. Les disputes de son enfance ont soudain pris un sens et Miyuki en a déduit que l'homme avec qui sa mère trompait son père était Andrew. Ça paraissait logique. De plus en tapant son nom sur internet et en fouillant un peu Miyuki a découvert que sa mère posséde une ligne de vêtements qui commence à avoir du succès. Les créations sont jolies mais savoir que sa mère gagne si bien sa vie a encore plus énervé Miyuki. Et son père qui travaillait si dur pour permettre à Miyuki d'avoir des études digne de ce nom …
Après avoir eu tous ses diplômes en poches Miyuki a donc décidé de s'orienter vers l'art, une passion depuis toujours.
Grâce à son père et après de longues discussions elle a décidé de prendre son envol et gagner en indépendance. L'île de Oak Harbor a semblé être une bonne initiative pour commencer sa vie d'adulte loin des tumultes de son pays natal. Cette destination promettait une école d'art où elle était accepté et un nouveau départ.
Miyuki avait saisi l'occasion et était parti.
Grâce à ce départ son père pourrait désormais économiser pour sa retraite. Miyuki a donc du prendre un petit boulot pour réussir à payer loyer et études : c'est en serveuse qu'elle s'est transformée et cela ne lui déplait pas. Le Starbucks est un endroit qu'elle affectionne depuis toujours et elle se plait là-bas, ses collègues sont agréables et le salaire l'aide pour se loger et poursuivre ses études.
Désormais Miyuki a un relation très tendue avec sa mère, celle ci la bombarde de mails et de lettres mais Miyuki n'y répond jamais, gardant les lettres dans une boite en bois posée sur sa table de chevet.
Malgré tout elle lui envoie parfois des messages assez courts pour la tenir au courant et parce qu'elle a besoin de savoir comment va sa mère. On n'efface pas une relation mère-fille comme ça. Elle lui en veut toujours pour ses erreurs et même si sa mère ne cesse de s'excuser et tente de se rattraper en envoyant par exemple régulièrement des vêtements de sa marque à Miyuki la jeune fille n'arrive pas à lui pardonner.
Essayant de positiver et de voir la vie du bon côté Miyuki a donc décidé que Oak Harbor serait un nouveau départ pour elle.
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