Assise à la cantine, Tallulah discute vivement avec une camarade de classe. Elle est arrivée dans cette école ce matin, et bien que son stress augmenta d’un cran lorsqu’elle mit un pas dans la cour, sa nervosité s’effaça bien vite lorsque Callie se mit en rang avec elle. De suite, la petite blondinette lui demanda d’où elle venait, si elle avait un chien, un amoureux, bref des questions banales de la part d’une gamine de huit ans. Les deux fillettes ne se lâchèrent pas d’une semelle de la matinée, Tallulah prenant place en classe à côté de sa nouvelle amie. Venue tout droit de Virginie, son père avait décidé de déménager suite au décès de sa femme. Sa perte fut si lourde et déchirante, qu’il ne pouvait rester dans leur maison pleine de souvenirs. Tallulah n’avait pas voulu partir, quitter ses amis, mais il avait bien fallu qu’elle se résigne à vivre ailleurs, et la voilà dans l’école primaire de Oak Harbor.

Sortant de la cantine, s’asseyant dans la cour, elle sent soudain quelqu’un lui tirer l’une de ses nattes. Lâchant un cri de surprise et de douleur, elle se retourne et découvre un garçon blond, au sourire diabolique.

« Tu m’as fait mal. »

« C’était le but, répond-il tu tac au tac. »

Tallulah fronce les sourcils, et le regarde partir, fier de lui.

« C’est Peter. Fais pas attention, il est pas gentil de toute façon.»

Et il est vrai que ce Peter était loin d’être gentil. Depuis la primaire, il prit Tallulah en grippe, sans qu’elle ne sache pourquoi, elle devint rapidement son bouc émissaire.

Le ballon frappe violemment son visage. Une douleur atroce naît dans son nez, et un liquide chaud s’écoule le long de son visage. Portant la main jusqu’à ses narines, elle se rend compte qu’elle saigne abondamment.

« Espèce de crétin, je saigne maintenant, lâche-t-elle en colère. »

Peter la regarde, et se mit à rire. Elle avait malheureusement dû jouer contre lui au volley, râlant, et vulgaire, elle avait bien tenté de gagner contre lui, mais il était bien plus fort. Un petit moment d’inattention, tournant la tête pour voir Callie en train de faire la roue au bord du terrain, et elle s’était pris le ballon en pleine face. Elle savait qu’il l’avait fait exprès, comme toujours.

« Oh ça va, fais pas ta chochotte Salman, t’avais qu’à pas être si nulle au volley. »

Après lui avoir fait un geste obscène à l’aide de sa main gauche, elle sortit du terrain, la main sur son nez en sang. Se réfugiant aux toilettes avec Callie, elle tente d’apaiser les saignements à l’aide de mouchoirs.

« C’est vraiment un débile profond ce mec, j’te jure. »

Callie sourit face aux plaintes de sa meilleure amie. Il est vrai que Peter est bien le mec le plus abject du lycée. Il est égocentrique, machiste, vulgaire, et manque cruellement de civilisation. Il se fiche complètement des autres, et passe son temps à draguer les demoiselles. C’est un véritable Don Juan, qui prend et qui jette. Et entre Tallulah et lui, c’est la guerre depuis qu’ils se connaissent. Callie n’a jamais vraiment compris d’où venait leur haine mutuelle, mais ils ne pouvaient pas se voir en peinture, et dès qu’il le pouvait, Peter lui faisait les pires crasses du monde. La jeune femme avait pris de l’assurance au fil des années, et à présent, elle ne se gênait pas pour se venger ou répliquer face au blondinet.

« On parle de moi ? Résonne une voix bien trop connue. »

Tallulah se retourne et découvre Peter dans le cadran de la porte, bras croisés, un sourcil relevé.

« Le monde ne tourne pas autour de toi Hudson. Maintenant dégage si tu veux pas prendre mon poing dans la figure. »

«  Oh oh, mais c’est qu’elle serait presque terrifiante Salman ! Tu fais peur à personne fillette. »

Sur ce, il tourne les talons et sort des toilettes, laissant une Tallulah fulminante de rage, et une Callie au sourire en coin.

Assise à une table, Tallulah repose son verre. Les joues rosies, la tête qui commence à tourner, un sourire niais fleurit soudainement sur son visage. Elle rit. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle rit, encore et encore, sort des phrases incompréhensibles, et glousse avec Callie. Les deux jeunes femmes se trouvent à une soirée, il est minuit passé, et l’alcool leur monte à la tête.

« Je vois que n’importe qui a été invité à cette fête ! »

Peter les fixe, à la fois surpris et indigné. Les deux jeunes femmes le fixent, s’échangent un regard complice, et pouffent de rire.

« Non, Salman et McAdams sont ivres ? »

Sur ce, il se pose à la même table qu’elles, accompagné de Cameron et Jake. Tallulah le regarde s’assoir, et lance ;

« Non maiiiiis, où tu te crois Hudson ?! On n’est pas chez mamy kikiiiiii, va voir ailleurs si on n’est pas là-bas ! »

Mais le concerné ne bouge pas de sa place, et se serre même un verre. Tout le monde fait de même, et le groupe commence à parler, à rire, chose qui aurait pu paraître insensée puisque tout le temps de leur scolarité, les deux jeunes femmes étaient détestées du groupe de garçons. Et les voilà en train de plaisanter ensemble. Quelle ironie. La soirée continue dans la bonne humeur, tous commencent à être déjantés, animés par l’alcool qui leur fait faire ou dire n’importe quoi. Ils décident de sortir dehors, de se rendre à la plage qui ne se trouve pas loin.

Les pieds dans le sable frais, Tallulah et Callie courent vers la mer aux couleurs bleus foncés. Le vent souffle légèrement, la lune est presque pleine et se trouve juste au-dessus de leurs têtes. Puis, d’un commun accord ils se jettent à l’eau, quittant tee-shirt et pantalon. Une bataille d’eau démarre grâce à Tallulah qui éclabousse Peter.

« Salman, hurle-t-il. Tu me cherches c’est ça ? »

La jeune femme éclate de rire, et recommence. Elle ne sait pas trop ce qui lui prend, de plaisanter ainsi avec le garçon qu’elle haït le plus au monde, mais elle met ça sur le compte de l’alcool, et ne réfléchit pas une seconde de plus puisqu’elle reçoit de l’eau en pleine figure. Prenant un air outré, elle frappe l’eau à l’aide de ses mains, poussant des mini vagues vers Peter. Les autres s’engagent aussi dans cette bataille d’eau improvisée. Le blondinet s’avance soudain vers Tallulah, un air malicieux sur le visage. La jeune femme prend peur, tente de fuir le plus loin possible, mais l’eau l’empêche de courir, elle se loupe, et tombe la tête la première dans la mer. Sortant la tête de l’eau, elle éclate de rire.

« Ça te rafraichira peut-être les esprits, fillette ! »

Et sans attendre, Peter lui enfonce de nouveau la tête sous l’eau. Refaisant surface, Tallulah lui saute dessus, tentant en vain de se venger et de le noyer. Mais il est bien plus fort, et réussit à la jeter au loin.

« Ok, ok je demande une trêve ! »

« Une trêve ? Seulement si tu avoues que je suis le plus fort ! »

Tallulah le fixe un instant, et explose de rire.

« Jamais, plutôt me noyer ! »

« Ah oui ? »

S’approchant d’elle, il l’attrape agilement par la taille, et tente de la faire tomber dans l’eau. Mais Tallulah se débat vivement, riant aux éclats, hurlant de la lâcher. Cessant tous mouvements, la brunette se tourne vers lui, posant ses mains sur ses épaules. Peter encercle toujours sa taille, et leurs regards se happent un instant. Le cœur de la jeune femme s’emballe soudainement, tandis que sa respiration se saccade.

« Une trêve contre un baiser, murmure-t-il. »

« Un baiser ? répète-t-elle, surprise. »

« Un seul … histoire de vérifier si tu embrasses aussi mal qu’on le dit. »

Tallulah louche une seconde sur la bouche de Peter, incertaine. Mais sans réfléchir, écoutant ses pulsions du moment, elle approche son visage du sien, ses paupières se ferment et ses lèvres effleurent les siennes. Son rythme cardiaque s’accélère, elle a l’impression que son organe vital va  fissurer sa cage thoracique. Peter répond de suite au baiser donné, plaquant un peu plus sa bouche sur la sienne. Tout ceci leur semble interdit, proscrit, complètement absurde, ils se détestent plus que tout, ce baiser est contre nature, contre toute rationalité. Tallulah se recule soudainement, s’échappant des bras de Peter. Elle le fixe quelques secondes, et lance d’une voix tremblante ;

« C’était … c’était dégoutant. »

Elle a l’impression de faire soudainement face à la réalité, que tout le reste n’était qu’un rêve, un songe qui n’aurait jamais dû être réel. Elle n’était pas du genre à embrasser n’importe qui, et encore moins Peter Hudson ! Se détournant, elle finit par rejoindre Callie et les autres, laissant Peter en plan. Elle fit comme si de rien était auprès des autres, et ignora le regard pesant du jeune homme blond qui lui brûlait la peau. La soirée ne tarda pas à sa terminer, et Cameron proposa de la ramener. Tallulah accepta, et ce fut sa deuxième erreur de la soirée.

Comment se faisait-il qu’elle ne cessait de penser à lui, à leur baiser ? Ce souvenir revenait sans cesse dans son esprit, repassant en boucle, lui tordant le ventre, accélérant les battements de son cœur. Pourquoi avait-il fallu qu’elle l’embrasse ? Elle tentait de se rassurer en se disant que l’alcool lui avait monté à la tête, qu’elle n’aurait certainement pas agit de la sorte en étant sobre. Mais, elle sentait qu’elle se mentait à elle-même, que malgré tous les arguments qu’elle trouverait, elle ne pouvait nier que ce baiser avait déclenché quelque chose en elle, quelque chose de nouveau, de totalement fou et puissant. C’en était déchirant, et douloureux, d’être incapable de comprendre ce qui lui arriver, de comprendre comment elle en avait fini là. Elle le détestait, de tout son corps, de toute son âme, il n’était pas logique qu’elle ait pu éprouver quoi que ce soit durant ce stupide baiser. Et pourtant, c’était bel et bien le cas.
Agacée contre elle-même, contre ce foutu mec, elle attrapa soudainement l’assiette qui se trouvait face à elle, et la brisa de toutes ses forces contre le sol. Elle continua avec le verre, et le plat, pensant que ceci l’aiderait à l’apaiser, à soulager ses nerfs à vif.

On frappa soudainement à la porte. Rouge de colère, elle remit ses cheveux en place, et alla ouvrir. C’était Cameron, armé d’un bouquet de fleurs.

« Salut Tallulah, lâcha-t-il en souriant, avant de regarder derrière elle, et de voir plusieurs éléments brisés par terre. C’est la guerre ici ? »

Gênée, la brunette lança un regard derrière elle et le fit entrer avant de lancer ;

« Ouais. Problème de vaisselle. »

« Je vois. »

Cameron lui sourit de toutes ses dents, depuis la soirée sur la plage il ne l’avait pas lâché d’une semelle, et ils étaient sortis ensemble deux fois. Leur relation semblait devenir officielle au fil des jours, et Tallulah devait avouer que Cameron était véritablement gentil avec elle, un vrai gentleman, rien à voir avec le garçon débile qui trainait toujours avec Peter au lycée. Certaines personnes peuvent donc changer.
Lui souriant en retour, elle devait avouer qu’il lui plaisait, il avait de la conversation il était drôle, attentionné, que demander de mieux ?

« Tu veux qu’on aille faire un tour ? On rangera au retour. »

Tallulah acquiesça, attrapa sa veste, et ils sortirent de l’appartement. Se promenant dans la ville, Cameron s’arrêta soudainement devant la poste, et lança ;

« Attend moi là, j’ai un colis à aller chercher j’en ai pas pour longtemps. »

Sur ce, il gravit les marches et disparut dans l’établissement. Regardant autour d’elle, se calant contre le mur, son cœur loupa un battement quand elle vit Peter arriver face à elle. L’estomac noué, la gorge sèche, elle fit comme si elle ne l’avait pas vu et trouva ses chaussures très intéressantes tout à coup. Le jeune homme se stoppa face à elle, et Tallulah leva la tête, muette.

« Tu attends quelqu’un peut-être Salman ? Ton nouveau petit-ami Cameron je suppose, lança-t-il acerbe. »

« Qu’est-ce que ça peut te faire ? répondit du tac au tac Tallulah. »

« A moi ? Rien. J’en ai absolument rien à foutre. Tu peux t’envoyer en l’air avec qui tu veux. Mais tu ne viendras pas pleurer le jour où tu te rendras compte que Cam est en fait un connard. »

La jeune femme fronça les sourcils. Elle n’avait plus cette impression chez Cam, il semblait être différent, plus mature.

« De quoi tu parles Hudson ? Certaines personnes murissent, mais c’est sûr, c’est pas ton cas je te rassure. »

« J’t’en prie, si tu crois vraiment à son petit jeu de prince charmant, c’est que vraiment t’es plus conne que ce que je croyais. »

« Fou moi la paix tu veux ? »

« Je t'aurais prévenu. »

Sur ces mots, Peter tourna les talons, laissant Tallulah à ses réflexions. La jeune femme décida d’ignorer les remarques du jeune homme à propos de Cameron, et bientôt leur relation devint véritablement officielle.