« Il en faut peu pour être heureux... »
¤ Chapitre I ¤
« Je t'ai fait confiance... »
Les mots résonnent dans les galeries souterraines. Ils sont implacables. Tous les regards sont braqués sur Timon. Dans les yeux, celui-ci ne lit aucune tendresse, aucune pitié quelconque, pas même dans ceux de son oncle, qui a failli se faire dévorer par les hyènes par sa faute. Tout n'est que colère, rage, mépris... Une fois encore, il sait qu'il n'attire que le rejet, peut-être même la haine. Il n'a pas les qualités qu'il faudrait à sa colonie. Il est maladroit, rêveur, il reste insouciant, joueur, malgré les efforts pour paraître normal, pour s'intégrer... Bref, il n'entre pas dans le moule. Est-ce sa faute ? Un peu, oui, mais il ne peut nier sa véritable nature, piétiner son caractère. Pour lui, il le sait, sa place est ailleurs désormais. Personne ne pourra lui pardonner d'avoir baissé sa vigilance et failli entraîner la mort de tout le clan. A part sa mère, bien sûr... mais elle n'est pas la seule ici et sa bienveillance, réconfortante ne peut pas effacer la froideur des autres. N'importe qui se serait accablé de chagrin, aurait perdu confiance en lui.
Pas Timon. Au contraire, animé par sa soif de vivre, il décida de s'éloigner de la colonie, de partir vers de nouveaux horizons, sans s'inquiéter de son avenir. Il ne pouvait rien lui arriver de pire que le désamour de sa famille. Mû par une force, invisible de ses congénères, il repassa le film de son enfance, des moments heureux, rares mais si précieux. Il n'en voulait pas aux autres, il ne pouvait s'empêcher de penser que leurs routes devaient tôt ou tard se séparer. Avec une lucidité et une maturité qu'on lui contestait, il décida d'aller de l'avant, avec sa bonne humeur comme seul bagage. Partir vers l'inconnu restait quelque chose de compliqué, y aurait-il seulement une destination, un point d'arrivée ? Les dunes de sable, la jungle... ces endroits dangereux faisaient l'objet de légendes et de contes terribles. Sans regarder derrière, Timon fit ses adieux à sa mère chérie, elle qui avait consacré toute sa vie à l'aimer, à l'élever, qui le protégeait tout le temps de la colère des autres. Une maman en or, qu'il garderait dans son cœur. Allez, la page se tourne, il laisse l'empreinte de ses pas dans l'inconnu.
¤ Chapitre II ¤
« - C'est quoi un credo ?
- C'est Pumbaa le vieux crado ! Ah ah ah ! »
La joie l'envahit lorsqu'il surplombe la savane à perte de vue en face de lui. L'herbe est verte, nourrie des rares pluies qui rendent la terre fertile. Des baobabs jaillissent du sol comme pour toucher le ciel pourtant inatteignable. Tout est nouveau, tout est beau. Ses yeux s'émerveillent tandis qu'il poursuit son voyage. Mais dans la solitude, même le bruit de sa respiration ne suffit pas à arrêter ses pensées. Elles se suivent à toute vitesse. Est-ce qu'il n'a pas été un peu trop enthousiaste ? Et s'il se trompait ? Comment allait sa mère ? Était-elle effondrée ? Il ne supportait pas l'idée de lui faire de la peine. En plus, où se dirigeait-il ? Trop d'inconnues... trop d'incertitudes. L'optimiste se fit ronger lentement par le désespoir. Et finalement, à la tombée de la nuit, il craqua. Sa sensibilité le rendait si touchant. C'est peut-être ça qui attira à lui le vieux Rafiki, un singe étrange, avec une fâcheuse manie de parler en langage codé, par le biais d'énigmes, de sens cachés... Ce babouin avait tout d'un prophète, un discours flou et un air déconnecté de la réalité. Pourtant, en l'invitant à voir au delà de ce que ses yeux pouvaient admirer, il aperçut le rocher du Roi, au lointain. Il se remit en route.
Mais ce qu'il croyait avoir interprété comme une direction s'avéra être autre chose. Il fit la rencontre de Pumbaa, un phacochère solitaire qu'il avait pris pour un prédateur dans un premier temps. Dès le début, il comprit qu'ils étaient semblables. Rejetés par les autres, car trop différents, amateurs d'insectes, solitaires, ils nouèrent un début d'amitié. Ce fut donc à deux qu'ils poursuivirent leurs routes jusqu'au rocher du Roi où se déroulait le "baptême" de Simba. Ignorant la cérémonie, ils poursuivirent leur route plus loin encore, vers la jungle. Vers leur nouveau paradis d'insouciance et de bonheur. Et évidemment les flatulences de Pumbaa furent un excellent sujet d'humour pour Timon, qui ne ratait pas une occasion pour rire à ce sujet.
Hakuna Matata. La formule, lancée par Rafiki devint véritablement un nouveau mode de vie lorsque Timon et Pumbaa trouvèrent leur lieu d'habitation. Un endroit qu'ils ne tardèrent pas à partager avec Simba, le fils du Roi Mufasa, décédé quelques jours plus tôt. Considérant le lionceau avec bienveillance, les deux acolytes ne manquèrent pas de vivre du bon temps, loin des tracas, des intrigues et des prédateurs. Les années passèrent, pour le trio ce fut les meilleures. Timon n'avait jamais été aussi heureux que dans ces valeurs de partage, d'humour et d'amitié. Au fond de lui, il se jura que toute sa vie, il la consacrerait dans le but de rendre les gens heureux autour de lui et il prit la décision de ne jamais se stresser plus que raison.
¤ Chapitre III ¤
« Ne vous demandez pas si c'est du lard ou du cochon
Si vous avez faim, croquez tout cru mon compagnon
À la file indienne, chères petites hyènes
Venez faire ripaille à l'hawaïenne ! »
Les meilleures choses se terminent parfois pour mieux recommencer. Lorsque Nala retrouva Simba, la réalité rattrapa le petit groupe. Pendant qu'ils coulaient des jours heureux, le royaume connaissait la tyrannie et la terreur. Et le devoir de Simba refit surface. Pour autant, Timon et Pumbaa ne se sont pas défaussés, ils ont accepté de mettre de côté leur vie pour aider le futur Roi à retrouver sa place. Unis par leur amitié, par la complicité qui les avait soudés, ils firent équipe pour défaire Scar. Timon, particulièrement attaché aux liens forts n'hésita pas à y mettre du sien et à donner dans le ridicule pour faciliter les choses. L'idée de se travestir en vahiné lui vint tout naturellement, et quand il se mit à repenser ensuite, il ne put s'empêcher de rire aux éclats. Sauvé par Pumbaa d'une mort certaine, il assista à la prise de pouvoir de Simba, un instant qu'au fond il redoutait car il savait que ça mettrait un terme à leur vie sans souci. Loin de faire défaut, lui et Pumbaa restèrent auprès du nouveau Roi pour l'aider et aussi pour veiller sur lui. Il restait impossible pour eux de tirer une croix sur toutes ces années de bonheur. Simba et Nala eurent une fille, Kiara, qu'ils virent grandir. Chargés de veiller sur elle, ils furent bien souvent dépassés, car trop dissipés, voire trop confiants.
Aider Simba n'était une tâche aisée mais pour autant la mentalité de Timon ne changea pas. Il avait pris conscience que la belle vie ne pouvait pas durer éternellement mais qu'elle pouvait très bien se marier avec une vie d'aventures, un travail. Il renoua le contact avec sa mère et son oncle mais ne revint pas dans la colonie. En réalité, il avait définitivement trouvé sa place, auprès de ses amis, de ceux qui ne l'avaient pas rejeté. Pour autant, il nourrissait aucune haine quelconque, aucune rancœur. Les épreuves qu'il avait traversé lui permirent d'être plus généreux, plus bienveillant et plus heureux que jamais. Il ne serait revenu en arrière pour rien au monde. Il partagea son temps entre les missions pour Simba et les escapades à Upendi, dans la jungle, à la découverte du monde, de ses plaisirs. Apprécié pour ses blagues, souvent potaches et son sens de la répartie, il se montra aussi de bon conseil. Son histoire n'a jamais reçu de point final, laissant l'imagination, ou plutôt ce qu'il en restait faire le travail et continuer ses aventures. On écrivit pas qu'il vécut heureux, car c'était déjà le cas depuis longtemps.
¤ Chapitre IV ¤
« Je veux d'l'amour, d'la joie, de la bonne humeur
Ce n'est pas votre argent qui fera mon bonheur
Moi, j'veux crever la main sur le coeur »
- Tu n'es qu'un ignare, un incapable ! Un petit effronté ! Hors de ma vue !L'ambiance était la même à la maison... une fois de plus Louis en prenait pour son grade. Du haut de ses onze années, Tim regardait la scène se répéter. Son grand frère avait ramené son bulletin scolaire et les résultats n'étaient pas à la hauteur de ses attentes. PDG d'une grand entreprise, le père Blacksad n'était pas commode du tout. Sévère, très dur, froid, il exigeait de ses enfants le meilleur. Mais Louis, un brin rebelle refusait de lui donner ce qu'il voulait. Malgré le fait qu'il soit presque adulte, son père allait le gifler. Sa main, leste et lourde se leva, impitoyable. Son cadet ne pouvait pas supporter cette violence. Pourquoi se disputer et se battre alors que la vie était si belle. Dehors le soleil commençait à peine à se coucher, quelques oiseaux piaillaient parce que le ciel restait dégagé. Une odeur de viande grillée, appétissante émanait de la cuisine. Elle venait titiller leurs narines, transportant les effluves de leur repas du soir, concocté par leur mère, avec tout son amour et son entrain. N'écoutant que son cœur, Tim bondit vers son père pour s'interposer et éviter que Louis ne soit giflé. Il lança énergique, enthousiaste :
- Papa, maman, Louis, regardez dehors ! L'été arrive, il est là ! On va pouvoir faire de belles grillades dans le jardin pas vrai ?Il y eut un silence pensant quand son père le foudroya du regard. Il allait l'écarter pour coller une raclée à l'aîné, lorsque Tim ajouta, jouant le tout pour le tout :
- On pourra se servir de nos bulletins comme allume-feu pour effacer les preuves ! Hein ?On aurait dit qu'un éclair avait frappé le paternel. De la cuisine, on entendit le rire cristallin de leur mère, qui ne manquait pas de se gausser de la situation dès qu'elle le pouvait, ce qui énervait son mari. Un excès de fureur passa dans son regard. Sa main tomba sur le plus jeune laissant des marques rouges sur sa joue. Tim s'y attendait mais le choc lui fit quand même monter les larmes aux yeux. Plein de rage, leur père vociféra :
- Montez dans votre chambre ! Tout de suite ! Vous êtes privés de repas jusqu'à demain matin !Tim sentait bien que son frère bouillait de l'intérieur. Ces derniers temps, il sentait la colère l'habiter, sans pouvoir l'apaiser par ses blagues, par son engouement. Il se rua contre lui, faisant mine de pleurer et le força à monter les escaliers pour que tout s'arrête là. Une fois à l'étage, alors que les deux frangins se trouvaient dans la chambre de l'aîné, Timothy cessa sa comédie et apparut souriant, ayant oublié qu'il avait une marque cuisante sur sa joue. Il dit, le regard étincelant de malice :
- Il a galopé ! Même un cheval de course ne serait pas allé aussi loin ! Tiens, j'ai des bonbons que j'ai piqué au goûter de mon école. Je me doutais qu'on en arriverait là. Mais demain ça sera oublié, papa ira travailler et il n'y pensera plus ! Il en était tellement persuadé qu'il ne pouvait que convaincre. Tim se blottit contre Louis, en le serrant très fort. Ils avaient cin ans d'écart, ses bras de pré-adolescent n'étaient pas assez grands pour faire le tour de ce grand gaillard qu'était son aîné. Leur morphologies avaient toujours été différents, l'un étant musclé, bien bâti, l'autre plutôt maigrichon, petit. Ils s'adoraient. Tim trouvait la présence de Louis rassurante, il l'admirait beaucoup parce qu'il avait du caractère et qu'il ne manquait pas une occasion de prendre soin de lui. Il était sa lumière, bien que ternie par les tensions croissantes avec son père. Avec humour, Tim lui donna un petit coup dans les abdos et plaisanta :
- T'aurais pas un peu grossi toi ? ¤ Chapitre V ¤
« Because I’m happy
Clap along if you feel like happiness is the truth
Because I’m happy
Clap along if you know what happiness is to you »
Louis est en train de compter les billets et de les poser sur la table du salon... en face de lui. Méthodiquement, il lui rend tout ce que Tim lui a prêté quand il était dans la galère quelques mois plus tôt. Le jeune homme ne dit rien. Il sait que s'il lui demande de garder cet argent pour lui, son aîné le prendra mal. Ils risquent de se brouiller et ça il veut à tout prix l'éviter. Louis a toujours été un exemple pour lui, une personne importante dans sa vie. Il ne peut concevoir l'idée qu'ils ne parlent plus. Et à cette pensée, un souvenir très douloureux lui vint en tête...
***
- Lou' ?Tim poussa doucement la porte de la chambre de son frère. A peine rentré de l'école, il voulait lui raconter sa dernière blague, pour lui changer les idées. Il savait que son frère avait de plus en plus de désaccords avec leur père. Il ne comprenait pas pourquoi mais après tout ça le dépassait et ce n'était pas ses affaires. Chaque fois qu'il essayait d'intervenir, il s'en prenait une, alors bon... Louis n'était là et ça, ce fut étrange. Il était privé de sortie... à cause de son bulletin une fois encore. Un détail attira son attention. Le tiroir de la commode où il rangeait ses chaussettes était vide... Le sang de Tim se glaça dans ses veines. Il sortit de la chambre pour se ruer dans le salon. son père était assis sur son fauteuil en train de lire son journal, impassible.
- Où est Louis ?La peur se sentait dans sa voix... elle ne fit que s'accentuer lorsque sa mère se lèva pour partir dans l'autre pièce afin d'y pleurer. Le jeune adolescent, encore petit et maigrichon, en retard pour son âge, commençait à trembler sans le vouloir. Son sourire si jovial avait disparu. Impitoyable, son père consentit à poser son regard glacial sur lui et lâcha, sans la moindre once de délicatesse :
- Ton frère est parti définitivement. Il ne reviendra plus jamais ici. Bon débarras.Tim balbutia, ses larmes roulèrent sur sa joue sans qu'il ne puisse les retenir, inondant son visage de gamin. Il avait mal... terriblement mal. Il s'approcha de son père et lui prit la main, celle qui venait souvent se fracasser sur ses joues.
- Il faut qu'il revienne... s'il te plait papa... il faut aller le chercher...D'un mouvement brutal, le chef de famille le repoussa et haussa la voix :
- Ca suffit ! Arrête de te comporter comme une mauviette ! Arrête de pleurer, ça ne servira à rien ! Il est parti et je lui interdis de revenir !- Non... Tu ne peux pas faire ça !!! - C'est moi qui gouverne ici ! Pour t'apprendre la discipline, tu seras privé de repas ce soir ! Monte dans ta chambre, je ne veux plus te voir ! Ne me fais pas plus honte que ton décérébré de frère ! Hors de ma vue !Tim obéit, car il savait que l'inverse lui nuirait. En voulant sortir du salon, ses yeux tombèrent sur la cheminée dans laquelle il aperçut une paire de chaussettes en train de brûler. C'était celles de Louis... L'image se présenta alors soudainement à lui. Il imagina son frère sans rien, dehors dans les rues... Une terrible angoisse le prit aux tripes. Il se rua dans la chambre de l'aîné, éclatant en sanglot. Il se blottit dans son lit, en position foetale, serrant la couette dans sa main, respirant l'odeur de celui qui n'était plus là désormais... Quelques minutes plus tards, sa mère entra dans la chambre pour qu'il pleure dans ses bras. Ce fut grâce à elle qu'il retrouva son énergie. Il resta une semaine sans manger, totalement dévasté.
***
Louis cherchait la monnaie pour lui rendre au centime près. Cette vision était un supplice pour le jeune homme. Il n'aimait voir son frère s'entêter comme ça mais il ne pouvait lui en vouloir. Depuis son départ de la maison, il mettait du coeur à rembourser ses dettes et à se débrouiller seul, autant que possible. Il savait que Tim ne courait pas après l'argent. Il vivait confortablement de son travail d'infirmier. Certes, son père l'vait toujours vu médecin mais son niveau ne fut pas suffisant. Et puis, les études, ça lui demandait trop de sacrifices !
- Pas grave, pour la monnaie ! Viens, allez, je t'invite au resto et au ciné !Les mots lui échappèrent, sur un ton enjoué. Pourquoi s'embêter avec de l'argent alors qu'ils pouvaient profiter entre frère de l'instant présent ? Tim esquissa un large sourire et sans ménagement, il prit son aîné par le bras et le traîna vers l'entrée. Il ne lui laissait pas le choix. Taquin, il lui donna un léger coup de coude dans les côtes :
- Pour une fois tu sortiras pas au cinéma avec une jolie fille ! Remarque, j'ai des talons aiguilles et une robe dans mon placard ! Qu'est-ce ça serait drôle ! J'imagine la tête des gens ! J'ai piqué du rouge à lèvres à maman pour le fun !Il adorait se déguiser pour délirer, que ça soit en femme ou dans des tenues de carnaval. Sa mère l'encourageait à faire preuve de créativité en la matière. Pour les deux jeunes hommes, elle avait été un moteur importante, consolant Tim après le départ de son frère et aidant Louis en secret du mieux qu'elle le put. Le plus jeune, insouciant, était loin de se douter que malgré lui, son mentor jalousait le rapport qu'il avait avec son père. Malgré ses échecs scolaires, Tim avait donné beaucoup pour satisfaire le paternel et sa bonne humeur avait tempéré leur relation. Louis restait la brebis galeuse de la famille... il ne trouvait grâce à aucune moment dans les yeux de son géniteur. Timothy avait l'espoir d'une réconciliation, un jour, mais il restait un peu trop optimiste.
- N'empêche, je te verrais bien avec une perruque blonde, un maquillage outrancier et ta voix virile demander une cigarette à un type dans la rue ! Ha ha ! Ca t'irait bien je pense ! Allez, hop ! Amène-toi !Enjoué, il ouvrit sa porte d'entrée et tira son frère dehors. Si Tim adorait bien une chose, c'était les petits plaisirs de la vie qui prenaient tout leur sens lorsque Louis l'accompagnait. Il lui avait pardonné d'être parti comme un voleur. Tout ça, c'était du passé et lui vivait dans le présent.