+ Tu cours, tu cours sous la brise chaude de cette journée d'été, les pans de ta robe souillés de boue et tes boucles brunes entremêlées par des brins de paille. Au loin, les réprimandes de ta nourrice qui te cherche mais tu t'en soucie guère. Tu t'amuses de la faire tourner ainsi en bourrique parce que, quoique tu feras, elle n'osera pas rapporter tes folles escapades au Roi. Et quand bien même. Tu entends déjà son rire, d'un rire grave, se répercuter tel un échos dans tout le château, et tu sens déjà sa main ébouriffer ta chevelure sauvage. Tu l'amuses de tes bêtises. Tu rends sa vie tellement plus brillante depuis qu'il t'a prise sous son aile alors que tu n'étais qu'une enfant orpheline. "Marianne!" Tu tournes la tête derechef, tes cheveux fouettant l'air dans ta course folle. Un garçonnet à la chevelure dorée te talonne d'une dizaine de pas, une épée de bois à la main. Robin de Locksley mais pour toi, ce n'est que Robin. Fichtre que son titre de noblesse t'importe peu. Compagnon de jeu depuis ton arrivée à Nottingham, vous êtes à vous deux les tornades terribles, les deux enfants dont les femmes ne cessent de blâmer les cieux que d'en être les nourrices. "Tu ne m’attraperas jamais!" Affirmes-tu avec assurance, et tu te relances à nouveau dans votre course d'enfants insouciants en quête d'aventures. Les hautes herbes te chatouillent ton doux visage poupon mais tu t'enfonces sans crainte dans cette étendue d'or. Ces pleines vont sont si familières qu'elles pourraient être vôtres tant qu'en ces temps d'été, vous les parcourez inlassablement. Vos rires s'élèvent au-dessus des cymes en direction du ciel azur. Robin, c'est ton meilleur ami, celui a qui tu peux confier tes rêves les plus fous ; une fois, alors que vous étiez assis au bord du vide d'une falaise, tu lui avais avoué que tu voulais te faire sacrer chevalier quand tu seras plus grande. Les yeux rivés vers l'horizon couchant, il avait posé la main sur la tienne et t'avais murmuré à l'oreille que tu serais la meilleure d'entre tous. Vos regards se croisèrent et c'était comme s'il n'y avait plus que vous en ce bas monde à cet instant. Vous n'étiez âgés que de huit ans et pourtant le destin venait de décider de croiser vos deux existences. Vos deux âmes. Mais pour l'instant, vous n'étiez que deux enfants, toutes ces histoires de destinée n'étaient que des promesses d'avenir inconnu. Ainsi, n'avait-il pas tardé à ajouter "après moi" avec cette petite lueur de prétention dans le regard et affichant ce sourire malin que tu lui connaissais que trop bien. Mais le jour suivant, il t'avait ramené cette épée de bois qu'il avait lui-même fabriqué. (..) Ta course fut soudainement stoppée net par le cul-de-sac dans lequel tu t'étais engouffrée. Tu te retournes lentement pour faire face à un Robin triomphant. "Que disais-tu à l'instant ? Que je ne t'attraperai pas, c'est cela ?" Fanfaronnes-t-il en faisant tourner son épée de bois, le sourire pendu aux lèvres. "En garde, monsieur" lances-tu de ta petite voix fluette en pointant l'épée que tu avais attachée autours de ta menue taille. Tu le vois sourire de plus belle tout en s'inclinant devant toi, imitant les adultes. "J'espère que vous ne redoutez pas la défaite, milady." Tu arques le sourire en guise de défi et attaque la première. Le fracas du bois se mêlait à vos éclats de rire et à vos exclamations. Avec Robin, tu étais traitée tel que tu étais réellement et non pas comme une jeune lady et pupille du Roi de surcroît. Avec lui, la vie était un jeu perpétuel et tu oubliais ta condition qui t'enfermait déjà dans ta prison dorée.

+ "Lady Marianne, vous êtes resplendissante ce soir. Comme toujours." Tu te forces de sourire en guise de réponse, cachant tant bien que mal ton profond agacement. Cette soirée, tu pensais la passer sagement dans ta chambre ou sous la brise automnale dans la petite cour à bouquiner et à laisser ton esprit vagabonder au-delà de ces murs, en direction de ces terres inconnues et hostiles dans lesquelles était parti Robin il y a de ça plusieurs mois. Depuis votre séparation, ton coeur se déchirait à chaque tombée de nuit rien qu'en songeant qu'il pourrait perdre la vie à n'importe quel instant. Tu t'en veux de n'avoir tentée de le retenir à tes côtés mais cela aurait été déraisonnable et peine perdue car Robin était Robin, il serait parti de toute manière. Pour l'honneur. Par devoir. Il t'as promis de revenir en vie et tu t'accroches férocement à cet espoir. Il va revenir. Il va te revenir. En attendant, tu tentes de continuer à vivre. Il n'aurait pas aimé te voir dépérir de son absence. Alors, tu vis. Pour lui. Pour vous. Depuis quelques semaines, le peuple ne cesse d'être malmené par les décrets du shérif qui imposent l'augmentation des taxes et des impôts, le peuple se meurt de la famine alors tu voues tes journées à les aider. Que ce shérif aille au diable. Tu te fais passer la plupart du temps pour une servante afin de quitter le château pour sillonner les villages voisins et apporter quelques vives. Voir ces femmes et ces enfants mourir de faim te révoltent tellement que tu n'éprouves que du dégoût pour cet homme affable qui prétend agir au nom du Roi. Mais le défier ainsi n'est pas sans conséquence et tu as souvent échappé de peu aux représailles. Notamment grâce à Guy de Gisborne. Cet homme qui occupe les terres de Robin depuis qu'il est parti, cet homme qui ruine ces pauvres gens sans pitié. Cet homme qui semble avoir jeté son dévolu sur toi. Il ne se passe pas une journée sans qu'il ne vienne désirer te tenir compagnie. Avec lui, tu te sens comme un pauvre éphémère papillon pris dans la toile d'une araignée, mais, étant un homme du shérif, il te sort souvent du pétrin, alors tu te résignes à jouer aux faux semblant avec lui. Puis, il te permet de l'accompagner sur les terres de Robin quand il les visite, ce qui te laisse la possibilité d'amener un peu de nourriture. "Vous semblez ailleurs Marianne. Vous portez vous bien ?" Tu tournes légèrement la tête et croise son regard. "Je pense à sa majesté." Dis-tu à la hâte. "J'espère qu'il sera bientôt de retour." Parce qu'un tel retour signifierait son retour à lui. "Oui bien sûre. Je connais votre attachement pour le Roi et je me doute que vous devez être soucieuse envers sa personne.. Justement, je songeais, à son retour, à m'entretenir avec lui à votre sujet." Tu l'écoutais à peine, perdue de nouveau dans tes pensées, mais la fin de sa phrase t'intrigua et tu ne pus t'empêcher de le couper. "A mon sujet ?" Ses traits se firent plus sérieux, plus graves, ce qui t'alarma derechef. "Je vous ai vu grandir Marianne et vous êtes devenue une jeune femme remarquable. Cette idée germe en moi depuis quelques temps déjà et elle me consume à chaque instant. Marianne.." Oh non. Tout mais pas ça. Tu te refuses même d'entendre ces mots. Il te faut un échappatoire, vite. "Excusez-moi Messire, mais je ne me sens pas très bien, je vais me retirer dans mes appartements. Bonne soirée." Tu fais une rapide révérence avant de presser le pas vers l'escalier qui mène aux chambres. Mais alors que tu venais tout juste de quitter la salle de danse et que tu t'engouffrais dans un couloir étroit, tu sentis une forte pression au niveau de ton bras. A peine as-tu le temps de réagir que ton corps se retrouve plaqué contre le mur. "Marianne, comment pouvez-vous ainsi me rejeter.." "Guy, je crois que vous avez abusé de la boisson ce soir. Veuillez me laisser passer je vous prie." Tu essayes de te sortir de sa prise mais il reste inébranlable. "Vous êtes si belle.." Il caresse ton visage de ses doigts malgré le fait que tu essayes de l'enfouir derrière tes boucles brunes, mais c'est peine perdue. Soudainement, il attrape ton visage et le rapproche du sien, ses lèvres tentant de frôler ta bouche. Tu paniques et sentant qu'il avait desserré sa prise au niveau de tes poignets, tu ne réfléchis pas et tu viens le frapper au visage, poing fermé, comme te l'avais appris Robin. Il se détache de toi en grognant et vociférant et tu profites ainsi de cette occasion pour t'enfuir vers tes appartements, montant les marches deux par deux sans jamais t'arrêter. Dans ta chambre, tu refermes derechef le loquet et te laisse glisser le long de la porte jusqu'au sol de marbre froid. Ton pouls se calme petit à petit mais tu te sens encore brûlante.

+ Il est rentré. Robin est rentré. Il est en vie. Pourtant, lors de la cérémonie, il t'a à peine regarder alors que ton regard n'a cessé d'être figé sur lui. Ce n'était pas les retrouvailles que tu avais tant espéré. Il a tellement changé en ces quelques années d'absence. Il t'a semblé tellement ailleurs tout à l'heure. Certes, les croisades ont du être une expérience terrible pour lui, mais à ce point ? Tu dois lui parler, le revoir juste lui et toi. Puis, qu'as-t-il du penser en te voyant aux bras de Guy de Gisborne. S'il savait que tu n'as eu guère le choix. Tu as eu le malheur d'être arrivée en même temps que lui, il t'avait tendu le bras sous les yeux du shérif, tu ne pouvais refuser. Depuis le petit accident du coup de poing, il s'était platement excusé le lendemain, accusant l'effet de l'alcool, et dès lors, s'était montré relativement prévenant envers toi, te comblant de présents afin de te prouver son affection. Tes dames de compagnie ne cessent d'être mielleuses lorsqu'elles s'abandonnent aux commérages en ce qui vous concerne, Messire Guy et toi. Mais jamais ô grand jamais, tu ne céderas à ses avances. Mais fichtre, pourquoi t'as-t-il ainsi ignoré, il aurait pu venir au moins à ta rencontre, prétendre des salutations envers celui qui s'est occupé de ses terres en son absence. Ou n'importe quelle raison. Peut-être n'es-tu plus rien pour lui, peut-être t'as-t-il oublié tout simplement. Tu lui en veux. Oh oui, tu lui en veux terriblement. Tu lui en veux d'avoir ainsi occupé tes pensées pendant tout ce temps et au final, pour du néant.

+ "Vous ne savez pas la dernière rumeur ma chère ? Il parait que ce voyou de Robin des bois et sa bande de mécréants ont tourné en ridicule les gardes même du shérif en volant un convoi important d'or." Tu lèves instinctivement la tête de ton livre, écoutant soudainement les propos de Dame Catherine qui converse non loin de là où tu es assise. Depuis que Robin ait été déclaré hors-la-loi, il ne se passe pas une semaine sans que des nouvelles de ses "exploits" ne t'arrivent aux oreilles. Notamment par tes dames de compagnie qui n'ont que Robin à la bouche. Ces bavardages incessants à son sujet ont le don de profondément t'agacer mais tu ne peux t'empêcher de tendre l'ouïe pour en entendre davantage.  "On raconte que le shérif s'est mis dans une colère noire en apprenant la nouvelle, il se serait même blessé à la main dans l'énervement, vous vous rendez compte ? Oh, on dit aussi qu'il a doublé la prime sur sa tête. " Tu baisses légèrement la tête pour dissimuler un sourire incontrôlé. Bien que tu n'adhères pas totalement aux agissements de Robin et sa bande, tu lui reconnais un certain art pour contrecarrer les plans du shérif, ce qui n'est pas pour tout déplaire. Au contraire. Tu donnerais cher pour voir sa mine déconfite devant l'échec de ses hommes. Pourtant, une peur démesurée demeure, tapie en toi, jour après jour.  Tu connais tellement Robin, il est capable de tout et n'as pas peur du danger, inconscient, et combattre le shérif n'est pas sans risque, d'autant plus qu'il mobilise de plus en plus d'hommes pour l'attraper et le déloger de sa cachette. Qu'adviendrait-il s'il se faisait attraper ? Le shérif le pendrait haut et cour, c'en est certain. Tu secoues soudainement la tête pour chasser cette horrible pensée. Tu passes nerveusement la main dans ta chevelure brune tandis que ton regard azur se perd vers l'épaisse et dense forêt qui s'impose de toute sa magnificence au loin. La forêt de Sherwood. Le refuge de Robin dit-on.  

+ "Madame, c'est la garde, veuillez ouvrir je vous prie!" "C'est ouvert." Trois gardes armés de leur épée pénètrent dans ta chambre en alerte tandis que tu t'étais relevée afin de t'asseoir dans ton lit, recouvrant ton buste avec un drap. "Que se passe-il messieurs ?" questionnes-tu de ta voix la plus douce à l'égard des hommes du shérif. "C'est Robin des bois, madame, il a été vu au château. Nous devons.." "Robin des bois vous dîtes ? Mon dieu, mais il faut l'attraper ! C'est une perte de temps que d'être ici, messieurs, vite, partez à sa poursuite !" leur ordonnes-tu de manière plus autoritaire, en faisant mine de la façon la plus convaincante que tu es inquiète. Les gardes se regardent, tentent de répliquer qu'ils doivent fouiller ta chambre, mais sous ton regard affolé, ils rebroussent chemin et te lancent vaguement de bien fermer le loquet de ta porte. "J'espère que vous l'attraperez" cries-tu à leur égard mais ils sont déjà repartis. Enfin. Soudainement, tu souffles de lassitude et lèves les yeux au ciel. "Tu es un idiot Robin de Locksley!" Robin. Secrètement caché sous les draps à tes côtés. Tu retires le drap qui le couvrait et tente de le pousser par la même occasion afin que son intrusion dans tes draps prenne fin. Mais cela semble ne rien y faire. Tu le vois émerger doucement, un sourire béat affiché sur son visage. "Tu serais une excellente comédienne, tu le sais ça Marianne ?" ajoute-t-il avant que tu ne le pousses plus vigoureusement. Oui, il était un idiot. Un idiot fini même. Déjà que venir te rendre visite lors de tes promenades ou tes lectures relevait de la folie pure, mais venir la nuit, au sein même du château, c'était du suicide. Mais tu t'étais résolue à l'accueillir dans ton lit lorsqu'il a débarqué dans ta chambre et que les voix des gardes parvinrent jusqu'à toi. Gardant précieusement le drap en flanelle rouge contre toi, tu fronce les sourcils tandis qu'il se remet sur ses pieds. Mais au lieu de repartir avant que toutes les issues ne soient fermées, il se détourne dans ta direction et grimpe de nouveau sur le lit sous ton regard médusé de colère avant de s'asseoir en tailleur en face de toi. "Tu es magnifique les cheveux détachés. Tu devrais les laisser ainsi plus souvent." Tu allais répliquer lorsqu'il se pencha soudainement près de ton visage. Tu eus à peine le temps de réagir qu'il remit une mèche folle derrière ton oreille. "Je sais que ce n'est pas le moment mais... mais laisse-moi te dire que tu es... plus que jamais... tes yeux... même quand ils me regardent avec colère, c'est là que je te retrouve... je crois que tu peux toujours... et cela, même après tout ce temps... lire ce qui se cache au fond de mon cœur." te dit-il en plongeant son regard dans le tient avant de te caresser doucement la joue. De ce sourire qui te fait si brûler intérieurement et de ce toucher qui fait renaître en toi, le temps d'un instant, une ardente flamme. Mais tu te reprends derechef et lèves une énième fois les yeux aux ciel avant d'arquer le sourcil et de reculer ton visage du sien. "Ne me dis pas que cela a déjà marché rien qu'une fois ?" rétorques-tu. Robin était un bon rhéteur et endormir les autres, notamment la gente féminine, par de belles paroles était monnaie courante avec lui. "Plus souvent que tu ne l'imagines" te murmure t-il en se penchant davantage, comblant le vide que tu avais creusé à l'instant même, avec un sourire en coin. "J'ai du mal à le croire." Il semble amusé de ta réponse ce qui t'agace derechef. A vrai dire, l'idée même de l'imaginer avec une autre te rend particulièrement mauvaise soudainement. Tu te recules et te cales contre le dossier de ton lit, croisant les bras au niveau de ta poitrine. "Tu devrais y aller je pense." Son visage se tord en une moue enfantine tandis qu'il croise les bras en guise de désapprobation. Il ne cessera donc jamais de se comporter comme un enfant ? Au diable que tu te présentes à lui en petite tenue, tu aimerai bien terminer ta nuit sans lui si possible. Tu aimerais, également, ne pas t'inquiéter inutilement de savoir s'il est bien parvenu à sortir de Nottingham. Tu descends du lit et l'attrapes par le bras afin de le faire descendre. Tandis que tu t’évertues à y mettre toute ta force, tu ne peux t'empêcher de remarquer ce sourire satisfait s'étirer sur ses lèvres. Et son regard posé un peu trop longuement sur tes formes à peine cachées par ta nuisette. Tu tentes de maîtriser le feu qui menace de consumer tes joues. "Robin !" "Un baiser en échange ?" Tes sourcils se froncent tandis que tu le regardes médusée. "Dans tes rêves." "T'es cruelle Marianne. Tu pourrais au moins avoir pitié d'un pauvre indigent tel que moi qui ne demande qu'un petit baiser pour réchauffer.." Si ça ne tenait qu'à toi, tu l'étoufferai de tes propres mains mais sans lui des pauvres gens mourront de faim, alors tu prends férocement sur toi pour qu'il reste en vie et te résignes à accéder à sa requête. Dans un dernier roulement de yeux, tu te penches et déposes un léger baiser sur sa joue. "Satisfait ?" "Plutôt." De nouveau, il sourit et s'élances sur ses deux pieds hors du lit. "Belle Marianne ce fut un plaisir ! Oh et, si votre soupirant reviens quelque peu estropié en fin de journée, ne m'en tenez pas rigueur. Ou en faite, si, vous le pouvez ! Sur ce, bonne nuit Milady. " Il ramasse son arc qu'il avait alors dissimulé sous ton lit et alors qu'il se dirigeait vers la porte, il revient rapidement vers toi, te prends délicatement la main et te la baise sans te quitter du regard. Tu réagis à peine sous le coup de la surprise. Il franchit la porte. Et dans un murmure, tu lui souffles "Fais attention".